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ARCHIVES - Le 8 mai 1880 le romancier Gustave Flaubert s'éteint à cinquante-neuf ans. Le Figaro de l'époque relate les circonstances de son décès, dresse son portrait et évoque son œuvre littéraire.

Article paru dans Le Figaro du 9 mai 1880.

Gustave Flaubert est mort hier 8 mai 1880 dans sa propriété de Croisset, près de Rouen. Il a été le père de ce naturalisme qui fait en ce moment tant de tapage et si peu, de besogne et par une fortune assez curieuse il lui a suffi d'un roman Madame Bovary, pour créer tout un genre, dont les conséquences ont dû parfois agacer cet homme d'esprit, tourmenté par l'appétit du mieux et par ses élans vers l'idéal.[...]

C'est à une attaque d'apoplexie foudroyante qu'a succombé Gustave Flaubert. En sortant du bain, vers dix heures, il s'était trouvé un peu indisposé. Il appela sa domestique et lui dit de ne pas s'éloigner. Puis, se sentant oppressé, il s'étendit dans son cabinet de travail sur un divan où l'apoplexie le prit et fit son œuvre. L'agonie dura vingt minutes. Quand le docteur arriva, il était trop tard, Flaubert avait cessé de vivre.

En nous télégraphiant ces tristes détails, notre correspondant particulier de Rouen ajoute que Flaubert avait travaillé toute la matinée à son nouveau roman Bouvard et Pecuchet, qu'il venait de terminer, et il se disposait, à partir pour Paris le 9 mai 1880.

Gustave Flaubert était né à Rouen en 1821. Fils d'un médecin distingué, mort en 1846, il étudia lui-même la médecine, mais ses goûts et ses aptitudes ne tardèrent pas à l'entraîner vers la littérature.

Son premier ouvrage fut LaTentation de Saint-Antoine, qui parut en 1854 dans le journal l'Artiste. Puis vint Madame Bovary, son plus grand succès, Salambô, L'Education sentimentale, et une comédie politique Le Candidat, représentée en 1874 au Vaudeville où elle ne tint d'ailleurs l'affiche que fort peu de temps. La représentation du Candidat se rattache indirectement à une autre œuvre dramatique de Flaubert, qui n'a jamais vu la scène, Le Sexe faible, écrite d'après un scénario laissé par son ami, Louis Bouilhet. Reçue par Carvalho, alors directeur du Vaudeville,cette comédie devait porter sur l'affiche les deux noms de Bouilhet et de Flaubert, mais, à la suite de divers incidents, elle ne fut pas mise en répétitions, et Flaubert la remplaça plus tard par Le Candidat.

Chez lui, avec ses amis, il avait la voix et le langage d'une douceur extrême. Auprès des importuns, il était d'une brusquerie soldatesque.

La douleur de toute sa vie a d'ailleurs été de ne pas avoir réussi au théâtre. Aussi parlait-il avec une grande âpreté des directeurs et du public.

Il rêvait le vrai sur la scène. Peut-être est-il venu trop tôt. Il laisse une pièce inédite qu'il a écrite dans sa jeunesse avec son ami Bouilhet, Le Cœur à droite, pièce qu'il a présentée partout, même à Cluny.

Au physique, Flaubert représentait exactement un officier de cavalerie en retraite. Pas de luxe, mais une grande propreté, surtout intime. Lui, qui devait mourir en sortant du bain, était toujours dans l'eau.

Très sanguin, il avait le teint fort rouge. Son œil bleu-clair regardait fixement. Il aimait à tirer en militaire sa moustache d'un blond café au lait, taillée en brosse. Il avait des pantalons étranges, d'une circonférence très étroite au-dessus de la bottine, et larges de deux pieds au sommet. Il portait le chapeau planté crâne sur l'oreille.

Chez lui, avec ses amis, il avait la voix et le langage d'une douceur extrême. Auprès des importuns, il était d'une brusquerie soldatesque.

Un imbécile parlait-il à côté de lui:

- Nous f… -vous la paix! lui criait Flaubert.

Nul ne savait plus insolemment que lui, tourner le dos aux diseurs de riens. Flaubert vivait alternativement à Rouen et à Paris. Toutefois, il venait le moins souvent possible dans la capitale, et préférait l'existence paisible qu'il menait à Croisset, entouré de ses livres, de ses manuscrits, tout entier à ses lectures et à ses travaux.

Chez lui, il était ordinairement vêtu d'un costume spécial, se composant d'une vareuse et d'un large pantalon serré à la ceinture par une cordelière. Il travaillait de préférence dans sa bibliothèque, meublée de divans en maroquin surchargés de coussins et d'oreillers. Grand fumeur il ne quittait guère le cigare que pour prendre la pipe.

On se rappelle que le roman de Madame Bovary fut, à son apparition, traduit devant les tribunaux, comme une œuvre immorale. M. Pinard prononça même à cette occasion un réquisitoire fulminant, se scandalisant des moindres détails et réclamant une condamnation sévère pour le coupable. Me Sénard, qui s'était chargé de la défense de l'auteur, n'eut pas de peine à réduire à néant les terribles arguments du procureur impérial, et ni l'œuvre ni l'auteur ne furent condamnés.

Flaubert avait une singulière façon de travailler. Il aimait à écrire sur un de ces petits pupitres comme en ont les musiciens pour placer le morceau à jouer. Il établissait dessus son manuscrit, puis, au beau milieu, traçait de sa belle et haute écriture, une phrase, une seule.

Alors, il allumait une pipette, se renversait sur son siège et regardait sa phrase. Au bout d'un quart d'heure, il en ôtait un mot inutile. Au second quart d'heure, il remplaçait un mot impropre. Au troisième, il effaçait la moitié de ce qu'il avait écrit et trouvait d'autres expressions. Il était enchanté quand, à la fin de sa matinée, il avait trouvé une phrase dont il fût réellement content.

Une fois, le mot stèle se trouva sous sa plume. Il l'avait employé dans le sens de siège. Il prit un dictionnaire pour en connaître le genre. Au mot était jointe une de ces définitions embarrassantes dont les dictionnaires ont le secret. Flaubert s'habilla à la hâte, prit une voiture à l'heure, et se rendit à la Bibliothèque nationale où on le connaissait bien pour trouver en des textes authentiques le sens exact du mot employé. Travaillant toute la semaine, il n'aimait pas, du lundi au samedi, recevoir de visite.

Par contre, le dimanche, son appartement était ouvert à tous. On était sûr, vers deux heures, de voir arriver tour à tour ses fidèles, Zola, Tourgueneff et toute l'école. Vingt journaux gisaient çà et là sur les meubles. On critiquait les principaux articles, les livres de la semaine. La littérature seule faisait les frais de la conversation.

En littérature, Flaubert était implacable. Il n'eût pas admis qu'on lui demandât conseil ou que l'on fit des concessions soit à un journal, soit aux spectateurs.

Un jour qu'on parlait de Rochefort, Flaubert raconta presque textuellement l'anecdote suivante:

- J'étais à Compiègne, où je faisais partie de la troisième série. Quoique les Petits Papiers m'aient qualifié d'homme mal élevé, l'Impératrice m'aimait beaucoup. On s'attendait de ma part à tout et je donnais un peu. Je ne sais plus qui, pour faire sa cour, se mit à abîmer La Lanterne qui venait de paraître. Oubliant que l'Impératrice y était assez maltraitée, je me mets à défendre Rochefort, à dire qu'il est plein d'esprit et, pour preuve à l'appui, je tire de ma poche le dernier exemplaire et je me mets à en lire une page. Eh bien, savez-vous ce qu'a fait l'Impératrice. Elle m'a dit:

- Oh prêtez-moi ça.

Et, plus tard, à l'un de ses lundis, elle m'a avoué que depuis, elle était toujours la première à lire le journal de Rochefort. Il est vrai qu'elle y remarquait ce qu'il y avait non pas contre elle, mais contre les autres.

En littérature, Flaubert était implacable. Il n'eût pas admis qu'on lui demandât conseil ou que l'on fit des concessions soit à un journal, soit aux spectateurs.

- On doit écrire comme on veut. Voilà tout, répétait-il souvent. Quand on me dit: Vous avez fait mauvais, je réponds: J'ai fait comme ça.

Sous l'Empire et jusqu'à la représentation du Candidat, il habitait, au Parc Monceau, un très joli appartement situé au cinquième étage d'une maison princière, et qu'il avait rempli de souvenirs d'Afrique. On sait qu'il y avait fait un long voyage au temps où il préparait Salambô.

Depuis 1874, il demeurait au haut du faubourg Saint-Honoré, où un palier seulement le séparait de sa famille. Flaubert était chevalier de la Légion d'honneur.[...]

If you need to know Him in english !

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