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Paul Verlaine

Aime-moi, car, sans toi, rien ne puis, rien ne suis.

De la musique avant toute chose,

Et pour cela préfère l'Impair

Plus vague et plus soluble dans l'air,

Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

II faut aussi que tu n'ailles point

Choisir tes mots sans quelque méprise :

Rien de plus cher que la chanson grise

Ou l'Indécis au Précis se joint.

C'est des beaux yeux derrière des voiles,

C'est le grand jour tremblant de midi,

C'est, par un ciel d'automne attiédi,

Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,

Pas la Couleur, rien que la nuance !

Oh ! la nuance seule fiance

Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,

L'Esprit cruel et le Rire impur,

Qui font pleurer les yeux de l'Azur,

Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l'éloquence et tords-lui son cou !

Tu feras bien, en train d'énergie,

De rendre un peu la Rime assagie.

Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?

Ô qui dira les torts de la Rime ?

Quel enfant sourd ou quel nègre fou

Nous a forgé ce bijou d'un sou

Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !

Que ton vers soit la chose envolée

Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée

Vers d'autres cieux à d'autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure

Eparse au vent crispé du matin

Qui va fleurant la menthe et le thym…

Et tout le reste est littérature.

 

 

 

Jadis et Naguère

Verlaine (1844-1896)  les poèmes de Verlaine développent une conception très personnelle de l'écriture poétique que le mouvement symboliste s'empresse de revendiquer. Mais l'auteur d'Art poétique, écrit en 1874, publié en 1882, et finalement inclus dans le recueil Jadis et Naguère (1884), affirmait lui-même que ce « n'était qu'une chanson » à ne « pas prendre au pied de la lettre ». Avec humour, il refusait toute étiquette : « Le symbolisme ?... comprends pas... Ça doit être un mot allemand, hein ? Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Moi, d'ailleurs, je m'en fiche. Quand je souffre, quand je jouis ou quand je pleure, je sais bien que ça n'est pas du symbole... j'écris sans autre règle que l'instinct que je crois avoir de la belle écriture, comme ils disent ! » (Œuvres en prose, Réponse à une enquête de 1891)

Ils me disent que tu es blonde

Et que toute blonde est perfide,

Même ils ajoutent « comme l’onde ».

Je me ris de leur discours vide !

Tes yeux sont les plus beaux du monde

Et de ton sein je suis avide.

 

Ils me disent que tu es brune,

Qu’une brune a des yeux de braise

Et qu’un cœur qui cherche fortune S’y brûle...

Ô la bonne foutaise !

Ronde et fraîche comme la lune,

Vive ta gorge aux bouts de fraise !

 

Ils me disent de toi, châtaine :

Elle est fade, et rousse trop rose.

J’encague cette turlutaine,

Et de toi j’aime toute chose

De la chevelure, fontaine D’ébène ou d’or

(et dis, ô pose Les sur mon cœur),

aux pieds de reine.

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