Un des rares amoureux de Lou Andréas Salomé avec qui nous pouvons lire une correspondance au dessus de tous.
Vous pouvez lire, oui vraiment, c'est formidable.
8 06 1914 Il se trouve maintenant qu’après des mois de souffrance je reste tout autrement orienté : devant reconnaître, cette fois-ci, que nul ne saurait m’aider ; et quelqu’un dût-il venir avec l’âme la plus justifiée, la plus immédiate et trouver sa référence jusque dans les astres, dût-il me supporter en dépit de ma lourdeur et de ma raideur et garder la pure, l’infaillible disposition à mon égard ; quand même le rayon de son amour viendrait à se briser dix fois à la surface trouble et dense de mon univers sous-marin ; je serais encore capable (je le sais maintenant) de l’appauvrir au sein de l’abondance de son secours sans cesse renouvelé, de l’enfermer dans le domaine irrespirable d’une totale absence de tendresse, au point que son assistance rendue inapplicable, passât chez lui-même du mûrissement à la fanure jusqu’à un sinistre dépérissement.
Rien ne veut rien dire, mais parler de Rilke oui, là on trouve un sens à la parole
Regardant depuis combien de temps ?
Depuis combien de temps déjà se privant intimement, suppliant au fond du regard ?
Lorsque lui, qui vivait dans l’attente, en pays étranger,
assis dans la chambre d’auberge,
assis dans la chambre dispersée, de lui détournée, qui
l’environnait d’ambiance morose, et dans le miroir évitée
de nouveau la chambre, et plus tard, vue du fond de son lit torturant, encore la chambre : alors cela
délibérait dans l’air, insaisissablement, délibérait au sujet de son cœur sensible, au fond de son corps
bouleversé de douleur, de son cœur pourtant sensible,
cela délibérait et jugeait ce cœur : il ne possédait rien de l’amour.
Correspondance avec Lou - Page 6 - le 20 juin.
Le critique Paul de Man et son phonocentrisme
A quoi bon les poètes. reconstruction du dialogue construit par Heidegger avec Rilke.
On parle de l'amitié entre Rilke et Kassner, qui était son seul ami masculin selon Jean Yves Masson.
Non : mon cœur deviendra une tour, je me posterai sur ses bords : là où il n’est plus rien, encore des souffrances, encore l’indicible et l’univers encore. Une chose perdue encore...
Chanson d’amour
Comment tenir mon âme, de sorte
qu’elle ne touche pas la tienne ? Comment
la tendre haut par-dessus toi vers d’autres choses ?
Je voudrais tant l’héberger quelque part, auprès
d’une chose perdue dans l’ombre,
en un lieu étranger, tranquille, qui
ne continue pas à vibrer quand vibrent tes graves.
Mais tout ce qui nous effleure, toi et moi,
nous unit comme un archet qui tire
de deux cordes une seule voix.
Sur quel instrument sommes-nous tendus ?
Et quel musicien nous tient-il dans sa main ?
Ô douce chanson.
(Capri, mars 1907)
Je ne suis pas de ceux que l'amour console. Il en va bien ainsi. Qu'est - ce, en effet,
qui me serait plus inutile à la fin qu'une vie consolée ?
Mon site préféré en parle, esprit nomade
" Nul ne peut parler de Rilke sauf lui même "
prévenait Maurice Betz, son ami
C'est au château de Duino, sur les bords de l'Adriatique, où il avait été invité par la princesse de La Tour et Taxis et trouvé un havre provisoire de paix, qu'en janvier-février 1912 Rilke compose les deux premières des dix Élégies (Duineser Elegien) et écrit quelques ébauches des suivantes. Mais celles-ci ne verront définitivement le jour que dix ans plus tard, au château de Muzot, dans le Valais suisse, avec les cinquante-cinq Sonnets à Orphée. Les Élégies, tout comme les Sonnets, les textes de Rilke les plus traduits en français, furent considérés par leur auteur comme son « plus grand travail ».
Source
Qui donc dans les ordres des anges
m’entendrait si je criais ?
Et même si l’un d’eux soudain
me prenait sur son cœur :
de son existence plus forte je périrais.
Car le beau n’est que le commencement du terrible,
ce que tout juste nous pouvons supporter
et nous l’admirons tant parce qu’il dédaigne
de nous détruire.
Tout ange est terrible.
Mieux vaut que je taise la montée obscure de l’appel.
Qui oserons-nous donc appeler ?
Ni les anges, ni les hommes,
et les malins animaux remarquent déjà
que nous ne sommes pas à l’aise dans ce monde défini.
Peut-être nous reste-t-il un arbre
sur une pente,
– le revoir chaque jour ; –
Il nous reste la rue d’hier et la fidélité d’une habitude
qui s’étant plu chez nous, n’en est plus repartie.
Et la nuit ! ô, la nuit,
lorsque le vent chargé d’espaces nous mord le visage –,
à qui ne serait-elle, la tant désirée,
la doucement décevante,
cette part difficile des cœurs solitaires ?
Est-elle plus légère aux amants ?
Hélas, l’un à l’autre ils se cachent leur destin.
Ne le sais-tu pas encore ?
Largue le vide de tes bras aux espaces que nous respirons ;
peut-être les oiseaux
ressentiront-ils le plus grand large des airs
dans leur vol ramassé.
Rainer Maria Rilke, Werke, 2, Gedichte 1910 bis- 1926, Insel Verlag , 1996.
Une des lettres de Rilke à Lou Andreas Salome
Un jour, dans bien des années, tu comprendras tout à fait ce que tu es pour moi.
Ce que la source de montagne est à l’assoiffé.
Et si l’assoiffé est bon et reconnaissant, il ne va pas boire l’eau limpide pour y puiser énergie et fraîcheur, et repartir ensuite vers un nouveau soleil ; sous la protection de la source, et assez près pour entendre son chant, il construit une cabane et reste dans le paisible vallon verdoyant jusqu’à ce que ses yeux soient las de soleil et que son coeur déborde de richesse et de compréhension. Je construis des cabanes et – je reste.
Ma source limpide ! Quelle gratitude je voudrais t’exprimer. Je ne veux voir ni fleurs, ni ciel, ni soleil – sauf en toi. Tout est beaucoup plus beau et beaucoup plus féerique sous ton regard : la fleur à ton abord – je le sais pour avoir dû autrefois voir les choses sans toi – frissonne dans la mousse, seule et languissante ; elle se reflète dans ta bonté, lumineuse et légèrement vibrante, et touche presque de sa petite tête le ciel dont le rayonnement ressurgit de tes profondeurs. Et le rayon de soleil qui arrive poussiéreux et unique à tes confins se transfigure et se démultiplie en milliers d’étincelles dans les ondes lumineuses de ton âme. Ma source limpide. Je veux voir le monde à travers toi ; car ainsi je ne verrai pas le monde mais rien que toi, toi, toi !
Tu es mon jour de fête. Et quand je te visite en rêve, j’ai toujours des fleurs dans mes cheveux.
Je voudrais mettre des fleurs dans tes cheveux. Lesquelles ? Aucune n’est d’une simplicité suffisamment touchante. En quel mois de mai les trouver ? – Maintenant, je crois que tu as toujours une guirlande dans tes cheveux – ou une couronne… je ne t’ai jamais vue autrement.
Je ne t’ai jamais vue sans le désir de t’adresser une prière. Je ne t’ai jamais entendue sans le désir de croire en toi. Je ne t’ai jamais attendue sans le désir de souffrir pour toi. Je ne t’ai jamais désirée sans me sentir autorisé à m’agenouiller devant toi.
Je suis à toi comme le bâton est au randonneur, mais je ne te soutiens pas. Je suis à toi comme le sceptre est à la reine – mais je ne t’enrichis pas. – Je suis à toi comme la dernière petite étoile est à la nuit, même si celle-ci ignore presque tout de son existence et de son scintillement.
René.
VERGERS – RECUEIL DE POÈMES DE RAINER MARIA RILKE – 1924-1925 - PDF - Epub
« Tu vois, je veux beaucoup. Peut-être tout :
L'obscurité des chutes infinies
Et le jeu scintillant de toute remontée.
Il en est tant qui vivent et ne veulent rien
Et qui se sentent anoblis
Par les sentiments lisses
De leurs repas légers.
Mais toi, tu aimes tout visage
Qui sert et qui a soif. »
L'ange du méridien en anglais et en allemand