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Phạm Duy Khiêm

Phạm Duy Khiêm était un homme parfaitement biculturel qui a vécu pendant une période de polarisation politique et culturelle profonde. On dit qu’il comprenait mieux Marivaux que la plupart des Français. Il parlait le français sans accent. Il écrivait ses romans en français. Néanmoins, il est resté profondément vietnamien, enraciné dans ses valeurs bouddhistes et confucianistes. Basé sur des documents contemporains, des souvenirs de ses amis, de sa famille et de ses anciens élèves, cet article essaye d’éclairer comment Phạm Duy Khiêm a compris sa propre vie et comment il a compris son rôle dans cette époque turbulente. Cet article cherche à répondre aux questions suivantes : Quelles valeurs et quelles aspirations ont influencé son comportement ? Est- ce que le fait de vivre ancré dans la tension entre les cultures françaises et vietnamiennes l’a soutenu ? Ou, éventuellement, est-ce que cette tension l’a déstabilisé et déchiré ? Est-ce que son refus de renier l’une ou l’autre des deux cultures qui le définissaient a influencé sa capacité à participer d’une manière efficace à l’histoire de son temps ?

Je viens d'apprendre en lisant Wikipedia qu'il s'est suicidé. J'ai connu Pham Duy Khiem grâce à la médiathèque de L'IDECAF à Ho Chi Minh City en lisant Légendes des terres sereines, de Pham Duy Khiêm. Depuis j'ai appris qu'il était l'ami de Georges Pompidou et aussi qu'il avait était Ambassadeur du Vietnam en France.

Mais c'est ce livre surtout qui m'apporte ici et qui me pousse à vous le dire. Cet auteur est formidable. Sa culture Annamite m'a transcendé. J'ai donc créé des enregistrements audio de son livre. ici

Ce n'est pas Pham Duy Khiêm qui est à l'origine de ma philosophie artistique, mais c'est à partir de lui que j'ai créé l'Art imparfait.

Rappelons brièvement quelques éléments biographiques pour resituer Pham Duy Khiêm (né en 1908 à Hanoi, — mort en 1974, dans la Sarthe) dans son contexte historique et intellectuel. Fils de l’écrivain Pham Duy Ton et frère du compositeur Pham Duy dont les chansons sont très célèbres, il fut ambassadeur du Sud-Vietnam en France. Orphelin alors qu’il est en classe de troisième, il a appris le français dès son plus jeune âge, ce qui explique son aisance voire sa virtuosité dans une langue qui n’est plus étrangère car il se l’est appropriée dans ses moindres nuances et subtilités :

  • 2 Pham Duy Khiêm, « Discours d’usage destiné à la séance traditionnelle de fin d’année de l’École al (...)

Né à Hanoi, dans la rue qui conduisait du Fleuve Rouge au Petit Lac, non loin de ce Petit Lac dont bien des Français eux-mêmes gardent un souvenir délicat, j’ai commencé à apprendre le français dans une école « franco-annamite » c’est-à-dire une école pour enfants indigènes comme moi, avec des maîtres indigènes formés directement ou indirectement par des Français2.

5Au lycée Albert-Sarraut de Hanoi, il remporte tous les prix, puis, premier Vietnamien à passer le baccalauréat (en lettres classiques) il obtient une bourse qui lui permet de poursuivre ses études en France. Il éprouve le complexe du colonisé qui compense sa différence, l’écart de ses origines par le parcours d’excellence exemplaire de l’indigène doué et travailleur (à l’instar de Césaire). Pour faire ses preuves, il faut se battre sur le terrain de l’autre. À Paris, au lycée Louis-le-Grand en 1929, il est le condisciple de Pompidou et de Senghor. Premier Vietnamien à être reçu à l’École normale supérieure de Paris en 1931, il devient agrégé de grammaire en 1935 et docteur honoris causa de l’université de Toulouse en 1957. Il reçoit le prix Louis-Barthou de l’Académie française pour son roman autobiographique Nam et Sylvie (1942) publié sous le pseudonyme de Nam Kim et le prix littéraire d’Indochine en 1943 pour Légendes des Terres sereines publié la même année à Hanoi. Sa réussite passe par les études et la réussite aux concours qui lui assurent une certaine reconnaissance littéraire dans son pays d’accueil puisqu’il est édité par le Mercure de France et Plon.

6Au début de la Seconde Guerre mondiale, son engagement dans l’armée française sur le territoire français comme soldat puis comme élève-officier, est mal vu par ses compatriotes. Il transpose son expérience patriotique paradoxale dans un roman épistolaire en partie autobiographique 

Le bétel et l'arequier

C’était au temps des premiers Hùng Vuong, les rois fondateurs du Viêt Nam. Deux frères, beaux et se ressemblant fort, s’aimaient beaucoup. Leurs parents leur avaient donné une éducation parfaite. Le destin imposa un incendie de la maison familiale dans lequel les parents disparurent. Tân et Lang – ainsi s’appelaient-ils – furent recueillis par un mandarin local du nom de Luu, qui compléta leur éducation, les élevant comme ses propres fils, avec son enfant unique, une jeune et douce fille. Ils grandirent tous les trois, les deux frères ressentant un penchant de plus en plus prononcé pour la jeune fille : ils l’aimaient. Les frères atteignant l’âge de prendre épouse, Luu songea à marier sa fille unique à l’un d’eux. La jeune fille, heureuse de l’amour des frères mais embarrassée car Tân et Lang étaient similaires tant en beauté qu’en esprit, laissa la décision à son père. Luu organisa un repas, et fit qu’exprès il n’y avait qu’une seule paire de baguettes pour les deux frères à côté des bols. Sans hésitation, le jeune frère prit la paire de baguettes et la présenta à son aîné : il n’avait pas oublié la préséance fraternelle. Tân épousa donc la jeune fille. Feuilles de bétel sur l’arbre Avec le bonheur conjugal, Tân négligea de plus en plus son jeune frère. Lang pour sa part avait sublimé son amour initial, et englobait maintenant sa belle-sœur dans l’affection profonde qu’il portait à son aîné. Néanmoins, souffrant de plus en plus d’être délaissé, il décida de quitter la maison familiale pour toujours. Il partit sur la route et marcha, marcha, marcha. Il avait été tellement loin sans prendre de repos qu’il s’arrêta à bout de forces au bord dune rivière et s’effondra, mort. L’Empereur de Jade qui gouverne tout ce qui existe en ce bas monde fit qu’il se transforma en une pierre. Tân se rendant compte de la disparition de Lang comprit alors tout : son bonheur lui avait fait négliger son devoir fraternel. En proie à un remords affolé, il prit la route à la recherche de son frère, marchant sur les pas du disparu et atteignant la même rivière, au bord de laquelle il s’effondra et mourut de fatigue. Il fut changé en un arbre droit couronné de feuilles. L’épouse, extrêmement malheureuse de la disparition des frères, prit le même chemin à la poursuite de son mari et de son beau-frère, atteignit le même endroit, et s’agrippa à l’arbre jouxtant la pierre, décédant d’épuisement. Elle fut transformée en une sorte de liane enserrant l’arbre. Les trois morts visitèrent en songe les habitants de leur village, expliquant toute leur histoire. Ceux-ci érigèrent alors un temple à leur mémoire. Arriva une période de sécheresse exceptionnelle durant laquelle la végétation locale fut entièrement ravagée, à l’exception de l’arbre et de la liane jouxtant la pierre. Prévenu de ce miracle, le roi voulut en connaître la raison, et découvrit l’existence du temple et son origine. Voulant contrôler la véracité des faits, il ordonna de faire un mélange de la pierre, d’un fruit de l’arbre, et d’un morceau de liane. L’ensemble, broyé, donna un liquide d’un rouge de sang. C’était le signe-même de l’amour pur qui avait relié les trois personnes du temps de leur vivant, le sang irriguant l’être donc l’âme en communion des 3 pauvres morts.

La culture de l’arbre (l’aréquier, qui donne des noix d’arec), de la liane (le bétel, dont les feuilles d’un vert foncé initial s’enroulent au fur et à mesure qu’elles sèchent et virent au vert pâle puis au jaune-brun) se répandit sur ordre de l’empereur. Avec la pâte de chaux (la pierre), le trio devint une offrande réservée aux ancêtres (par exemple lors du Têt) en signe de communion, puis avec le temps, offerte également lors des grands événements de la vie (fiançailles, mariage, naissance), et s’étendit finale ment au simple geste de courtoisie: on l’offrit aux visiteurs.

Noix sèche d’arec Tant au sud du Viêt Nam qu’au nord, la consommation de bétel et de noix d’arec semble décliner, restant visible néanmoins partout. En tout état de cause, la consommation par les jeunes est devenue quasi-nulle, et seuls nos anciens y chiquent encore le bétel. Le faisant, savent-ils toujours que c’est une sorte de communion et un signe initial d’amour et d’affection, devenu avec le temps un symbole de partage et d’empathie ? Notons pour terminer qu’en Malaisie, chiquer du bétel (appelé tambool localement) est encore une pratique fréquente. Un certain nombre de nos condisciples ayant maintenant un pied-à-terre en ce pays (dont Phan Van Truong, JJR 64 et contributeur talentueux et régulier au Good Morning) peuvent donc se remettre à cette coutume vietnamienne ancestrale. Encore faut-il qu’ils le désirent !

Qu’il me soit permis de raconter ici une anecdote ayant ravi ma famille: ma grand’mère se promenant près de la Place St Michel à Paris au début des années 1970 en mâchant du bétel et ne trouvant nul endroit pour rejeter le jus rouge, le rejeta au pied d’un arbre. Des passants affolés car croyant que c’était une expectoration de sang l’agrippèrent et firent appeler l’ancêtre du Service d’Aide Médicale d’Urgence. La vieille dame dut tout expliquer – et montrer les ingrédients contenus heureusement dans son sac. C’est depuis cet incident qu’elle ne chiqua plus du bétel qu’à la maison, jusqu’à son décès une décennie après. Chère Grand’Mère, que n’as-tu pu continuer à chiquer en notre présence…

 

Pham Duy Khiêm – frère de l’auteur-compositeur Pham Duy - a laissé une longue version de ce conte dans un français d’un classicisme finement ciselé, dans son célébrissime ouvrage « Légendes des Terres Sereines » (écriture en 1942, édition initiale au Mercure de France) que tout le monde connait, ré-édité en 2003 aux Editions Picquier, malheureusement épuisé – encore une fois.

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